LES PLUS LUS
Publicité
Publicité

Zineb El Rhazoui, une femme en danger

Zineb El Rhazoui, chez elle, le 14 mars.
Zineb El Rhazoui, chez elle, le 14 mars. © Bernard WIS/PARISMATCH
Interview Pauline Delassus

La journaListe de « Charlie hebdo », absente le jour du drame, sort un livre sur les attaques du 13 novembre. enceinte, elle vit sous protection policière en raison de ses propos sur l’islam.

Après les attentats, il y a eu un baby-boom à “Charlie” », dit-elle. La meilleure des revanches, ces quatre naissances ! Zineb attend celle de son premier enfant, cloîtrée, entourée de policiers. Comme les autres victimes, elle n’en a pas fini avec le temps du deuil. Parler, écrire. Impossible de se taire. Dans son Maroc natal, déjà, elle était menacée. Zineb connaît la haine de ceux qui lui reprochent sa liberté et dont elle combat l’idéologie. Ses mots sont aussi forts que sa peur est faible. Rencontre.

Publicité

A lire aussi : Il y a un an, les attentats de Charlie Hebdo 

La suite après cette publicité

Paris Match. Salah Abdeslam a été arrêté. Que ressentez-vous ?
Zineb El Rhazoui. Les victimes du 13 novembre, elles, vont avoir le procès dont elles ont besoin. J’en suis contente. Après les attentats de “Charlie Hebdo”, l’impunité dont ont bénéficié les Kouachi a été difficile à encaisser. Ils ont été tués avant de s’expliquer, sans que nous puissions entendre leur voix.

La suite après cette publicité

Les témoins des attaques de janvier ont-ils les mêmes réactions que ceux de novembre ?
On sent la même blessure psychologique, la même sidération. Ils sont tous incapables d’avoir un discours construit sur ce qui s’est passé. Et il n’y a chez eux aucune haine. A “Charlie”, on s’était posé la question : que penser des frères Kouachi ? La plupart d’entre nous répondions : “Rien.”

Dans Paris. Les gardes du corps de Zineb El Rhazoui ne sont jamais loin, même si on ne les voit pas.
Dans Paris. Les gardes du corps de Zineb El Rhazoui ne sont jamais loin, même si on ne les voit pas. © Bernard WIS/PARISMATCH

Dans votre préface, vous excluez des causes du terrorisme les problèmes sociaux et ethniques. Pour vous, le problème est uniquement religieux.
Tel que l’islam est expliqué et compris aujourd’hui, il ne peut être qu’un vecteur de violence. En France, on ne peut évoquer l’islam sans parler d'une religion de paix et d’amour… Moi qui ai grandi en son sein, je sais qu’elle est faite de guerre, de communautarisme et de haine de l’autre. Comme toutes les religions, d’ailleurs.

La suite après cette publicité
La suite après cette publicité

Ce discours ne risque-t-il pas de provoquer des tensions dont les musulmans pourraient être victimes ?
Le paternalisme envers les musulmans est insupportable. Comment peut-on parler d’intégration quand on est éternellement considéré comme faible ? Il n’y a pas de raison d’être plus condescendant envers les musulmans. D’ailleurs, en France, on parle de musulmans pour ne pas dire Arabes. Or, cette communauté n’a pas besoin de complaisance.

A “Charlie”, on s’était posé la question : que penser des frères Kouachi ? La plupart d’entre nous répondions : “Rien.”

Les amalgames entre musulmans et terroristes ne vous inquiètent-ils pas ?
Au contraire. Il faut faire l’amalgame entre les terroristes et leurs idéologues. Le débat public n’a pas vocation à aider une religion bédouine, écrite il y a quinze siècles, à trouver sa place dans la cité. Ceux qui veulent la pratiquer en ont le droit. Mais elle n’a pas à régir la société. Nous n’avons pas à faire d’exception juridique pour les musulmans. En faisant cela, nous ouvrons des brèches dans la République.

Quelles sont ces brèches ?
Dans la justice ou dans l’associatif, le religieux tente en permanence de grignoter le légal. Prenons l’association BarakaCity, dont le responsable dit publiquement : “Je ne serre pas la main aux femmes parce que c’est ma religion.” S’il disait : “Je ne serre pas la main aux homosexuels, ou aux Juifs, ou aux Noirs”, cela choquerait. Mais “aux femmes”, ça passe car c’est sa religion. Heureusement, la loi et la magistrature sont plutôt du côté de la laïcité.

Ce discours n’est-il pas plus facile à tenir pour vous, parce que vous êtes arabe ?
Oui, et c’est donc un devoir. Toute ma vie a été un combat contre l’islam, pas en tant que spiritualité, mais en tant que corpus juridique. Ma mère est française, mon père marocain, j’ai grandi et travaillé au Maroc. Je sais ce que veut dire vivre dans un pays où il n’y a pas de liberté individuelle, où il y a écrit musulman sur notre front, qu’on le veuille ou pas. On n’a pas le droit de boire un verre de vin, de fumer en public pendant le ramadan ; on n’a pas le droit d’épouser l’homme qu’on aime ; on ne peut pas avoir de rapports sexuels en dehors du mariage (même si on ne se gêne pas…) sans risquer la descente de police ! En 2010, quand la police a découvert mon mec chez moi, j’ai été arrêtée pour prostitution. Ce qu’est l’islam au quotidien, en tant que religion d’Etat, je ne le respecte pas. Ne pas respecter une idéologie est un droit absolu que l’on doit se réapproprier en France.

A ceux qui diront que vos propos sont islamophobes, que répondrez-vous ?
Cette notion d’islamophobie a réussi à faire taire beaucoup de gens. Moi qui ai grandi dans l’islam, qui ai dû apprendre le Coran par coeur, j’ai peur de l’application de la charia. Mais cette peur n’a rien à voir avec le racisme. Dans les pays où les islamistes sont au pouvoir, en Arabie saoudite notamment, on ne taxe pas les critiques de l’islam de racisme : on les emprisonne ou on les pend. Dans des démocraties, ceux qui n’ont aucun moyen de nous faire taire crient à l’islamophobie.

Vous êtes franco-marocaine. Etes-vous pour la déchéance de nationalité des binationaux coupables de terrorisme ?
Ce qui me gêne, c’est que soient visés uniquement les binationaux. Une personne qui fait allégeance à l’Etat islamique devrait être déchue de sa nationalité française, qu’elle en possède une autre ou pas.

Charb n’aurait pas dû être tué dans un pays sérieux comme la France

Qu’avez-vous pensé de l’état d’urgence instauré après les attentats de novembre ?
Face à des profils comme celui des terroristes, il n’y a que la répression. Il est inadmissible qu’après chaque attentat on se rende compte que les terroristes étaient connus de la police ! Listé parmi les premières cibles d’Al-Qaïda, Charb n’aurait pas dû être tué dans un pays sérieux comme la France. Mais l’état d’urgence doit surtout s’appliquer à la pensée. Il y a une crise philosophique sur ces sujets, que l’on traite avec des concepts révolus. On ne prend pas la mesure du fascisme de l’idéologie terroriste. On ne peut pas laisser sévir des imams propagateurs de haine.

Dans votre livre, quel témoignage vous a le plus intéressée ?
Celui de Houari Mostefaï, le frère d’un des terroristes. Nous sommes tous les deux des victimes du terrorisme, mais aux deux extrémités du spectre. Lui est dans l’opprobre et la culpabilité de ne pas avoir pu faire quelque chose. Il condamne clairement les actes de l’Etat islamique, mais il n’a jamais remis en question la théologie, l’idéologie de l’islam. Il lui faudrait sans doute une connaissance solide de la religion pour comprendre que la haine n’est pas venue ex nihilo, qu’elle est justifée par des textes.

Pourquoi avoir fait le portrait du terroriste Abdelhamid Abaaoud ?
Son parcours m’intéresse, mais moins que ses failles. J’aurais voulu connaître ses frustrations sexuelles, ses premières amours, son rapport à sa mère, sa première baston. Ses fêlures sont un mystère. Je sais quelle est la force de l’endoctrinement dont font l’objet ces gens-là. Au Maroc, pays qui passe pourtant pour modéré, si l’on organisait un référendum, plus de 90 % des Marocains diraient qu’il faut appliquer la peine de mort aux homosexuels. Les dégâts idéologiques de l’islam, en tant que pensée, sont beaucoup plus forts qu’on ne l’imagine. En France aussi : c’est une chimère de penser que le terrorisme vient d’un seul territoire. L’Etat islamique est l’appellation de quelque chose qui existait bien avant. S’il disparaît, il réapparaîtra ailleurs sous un autre nom.

Etes-vous d’accord avec l’écrivain Kamel Daoud qui parle d’un “rapport malade à la femme, au corps et au désir dans le monde arabo-musulman” ?
Oui. A Casablanca, c’est une hérésie absolue de penser que je puisse marcher dans la rue en minijupe ! Je ne l’ai pas fait depuis au moins vingt ans. Siffler les femmes, c’est un sport national au Maroc ou en Egypte. Dans les pays arabo-musulmans, l’inconscient collectif masculin n’a jamais toléré que la femme sorte du harem. Elle traverse l’espace public comme un fantôme ; il ne lui appartient pas. La loi ne reconnaît le viol que s’il y a perte de virginité ; et, alors, la femme violée devient une anomalie sociale qu’il convient de réparer par le mariage. La police ne diligente pas les enquêtes. Devant le juge, il suffit que le violeur dise : “Je l’ai payée”, pour que la femme soit accusée de prostitution. Dans une société qui applique ces lois-là, ne peut-on pas techniquement parler de culture du viol ?

A quoi ressemble votre quotidien depuis les attentats de “Charlie Hebdo” ?
Je ne sors plus seule mais protégée par des policiers. Je vis dans les armes mais pas dans la peur. Je n’arrive pas à conceptualiser la menace. Avec Charb, on en rigolait. Il était menacé par Al-Qaïda, mais ça nous paraissait abstrait.

« 13 », de Zineb El Rhazoui, éd. Ring.
« 13 », de Zineb El Rhazoui, éd. Ring. © DR

Vos rapports avec la direction de “Charlie” se sont-ils apaisés ?
Non. Ils ont voulu me licencier pour faute grave. Avec d’autres journalistes, j’étais dans une lutte : on demandait un actionnariat salarié pour qu’il n’y ait pas d’enrichissement par l’argent du sang, celui amassé avec le numéro des survivants et les abonnements. Mais cet argent est considéré par les deux actionnaires comme un retour sur investissement. Nous sommes un journal où l’actionnaire majoritaire, Riss, rédige les éditoriaux. C’est un problème. Tous nos espoirs sont déçus. L’affaire est pliée. Je pense que j’aurai vocation à quitter “Charlie”, bientôt.

Contenus sponsorisés

Publicité