L'Essentiel

  • La flambée des prix du gaz, causée par de multiples facteurs, fait exploser le prix de l'électricité, qui lui est fortement corrélé.
  • En France, l'Etat a créé un bouclier tarifaire basé sur les tarifs réglementés, qui va permettre de limiter fortement la hausse des factures électriques des particuliers et des petites entreprises en 2022. Pour le gaz, le bouclier tarifaire français fonctionne uniquement pour les particuliers, mais il a permis de limiter la casse.
  • C'est une bénédiction pour ceux qui en profitent, mais moins pour les finances publiques et les énergéticiens.
  • La hausse pour les industriels et les gros consommateurs sera variable mais souvent violente. Les industries électro-intensives (Chimie, Métallurgie) sont les plus pénalisées.
  • L'UE s'emploie à décorréler le prix de l'électricité de celui du gaz, ce qui semble indispensable pour aborder 2023 de façon plus sereine.

Le petit bout de la lorgnette

En préambule, il me faut annoncer que les lignes qui suivent sont extrêmement condensées, donc fatalement réductrices et qu'elles ne peuvent évidemment pas capter l'intégralité de la crise, ni aborder tous les sujets, loin s'en faut : il faudrait plusieurs tomes pour cela. J'ai tenté d'adopter un point de vue valable, pour alimenter la réflexion, tout en apportant des éléments de réponse sur la question que tout le monde nous pose actuellement : est-ce que ma facture d'énergie va exploser ? J'en profite pour remercier Benoît Badin et Romain Faure, qui m'ont bien aidé cette semaine, en espérant qu'ils me pardonneront de m'être limité au petit bout de la lorgnette sans exploiter la somme considérable de connaissances qu'ils ont partagée avec moi.

Personne ne peut contester, à l'été 2022, que la période que traverse l'Europe est une crise. Et là je ne parle pas du genre de crise pour laquelle on ergote sur le demi-point de pourcentage qui fait qu'on est en récession ou pas. C'est une Crise avec un grand "C", de celles qui peuvent bouleverser un continent pour des décennies. Je me suis demandé si j'en faisais trop en écrivant ça. Mais je ne crois pas. La Crise de l'Energie, puisque c'est ainsi qu'il faut l'appeler, va entraîner une avalanche d'effets négatifs, aussi bien sociaux qu'économiques, environnementaux que politiques. Il pourrait même en sortir quelque chose d'intéressant : c'est une occasion - un peu brutale - de placer le climat au centre des débats. Mais le court terme, et plus vraisemblablement le moyen-terme, s'annonce douloureux pour tout le monde parce que l'énergie est à la base de tout notre développement, de toute notre prospérité et de tout notre confort.

Dans les lignes qui suivent, j'essaie d'apporter quelques éléments concrets sur les tenants et les aboutissants de la situation actuelle en France. La problématique dépasse évidemment les frontières hexagonales et la meilleure réponse sera probablement européenne, mais la situation de court terme est variable d'un pays à l'autre (lire ici les mesures dites de "bouclier tarifaire" qui ont été déployées dans chacun des pays d'Europe). J'aborde dans un premier temps quelques généralités avant de me pencher plus spécifiquement sur la situation française.

Un peu de contexte

Pour démarrer, quelques mots sur les origines de la Crise. L'Europe n'est plus énergétiquement autosuffisante depuis des lustres. En 2020, son taux de dépendance énergétique (i.e. la proportion d'énergie qu'une économie doit importer) s'établissait en moyenne à 57,5%. L'Allemagne (63,5%), l'Espagne (68%), l'Italie (72,5%) ou l'Irlande (71,3%) font partie des pays les plus dépendants. A l'inverse, la France, grâce au nucléaire, limite cette dépendance à 44,5%. D'autres pays sont encore mieux positionnés : la Suède, grâce à l'hydroélectricité, au nucléaire et aux bioénergies, fait encore mieux à 33,5%. Le cas de la Norvège est à mettre à part, puisque c'est le seul exportateur net de la région. Le mix-énergétique de l'UE en 2020 comprenait :

  • 34,6% de produits pétroliers
  • 23,7% de produits gaziers
  • 17,4% d'énergies renouvelables (hydroélectricité, éolien, solaire…)
  • 12,7% d'énergie nucléaire
  • 11,5% d'énergie fossile solide (charbon, lignite)
Le Mix Energétique Européen (cliquer pour agrandir))

Le Mix Energétique Européen (cliquer pour agrandir)

Ce niveau de dépendance a peu varié en vingt ans, puisqu'il était de 56,3% en 2000. Depuis le début du millénaire, l'accès facile à une énergie peu onéreuse n'a guère poussé les Européens à changer leurs habitudes. L'énergie, c'est un peu comme l'eau potable : personne ne se préoccupe de savoir comment ça fonctionne tant que ça arrive quand on ouvre le robinet. Tout cela me fait penser à un excellent article de Doomberg, qui s'appelle "D'où viennent les trucs ?"(c'est en anglais). Mais revenons à notre sujet du jour.

Qui savait jusqu'à une date récente que le principal fournisseur d'énergies fossiles bon marché de l'Europe était la Russie ? En dehors de certains cercles, l'image d'Epinal du puits de pétrole dans le désert du Moyen-Orient a la vie dure. Mais en réalité, la Russie fournissait en 2020 à l'Europe 29% de son pétrole et 43% de son gaz naturel. A titre de comparaison, l'Arabie Saoudite fournit 7% de son pétrole et le Qatar 5% de son gaz au vieux continent. Même la Norvège est un plus gros fournisseur que les pays du Golfe : 8% du pétrole et 21% du gaz. Quant aux combustibles fossiles solides (i.e. le charbon par exemple), 54% proviennent… de Russie, 16% des Etats-Unis et 14% d'Australie.

On comprend dès lors beaucoup mieux les problématiques énergétiques auxquelles nous sommes désormais confrontés, et le puissant levier dont dispose le Mordor le Kremlin. Pour être un peu plus exhaustif mais sans trop rentrer dans les détails, il faut aussi préciser que les fournisseurs ne sont pas substituables facilement : les pipelines qui relient l'Europe à la Fédération Russe permettent de faire transiter bien plus de pétrole et de gaz, et de façon bien plus aisée, qu'un tanker ou un navire GNL.

Du marché de l'énergie à celui de l'électricité

Quatre précisions utiles pour compléter tout ça.

Primo, je rappelle que les besoins énergétiques européens précités concernent TOUTES les utilisations. Ainsi sur l'ensemble de l'énergie utilisée en Europe, 35% va aux produits pétroliers (essence, fioul, kérosène…), 23% à la production d'électricité et 22% aux usages gaziers (gaz naturel ou manufacturés). Globalement, tous les prix énergétiques évoluent dans le même sens, mais nous allons par la suite surtout évoquer l'électricité et le gaz. Vous adresserez directement vos remarques sur les prix à la pompe au gouvernement ou à TotalEnergies.

Secundo, il est important de rappeler que trois chocs simultanés sont à l'œuvre en 2022. Ensemble, ils ont renforcé la flambée des prix énergétiques. Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les spécialistes du Think Tank Bruegel :

  • Un déséquilibre entre l'offre et la demande hérité de la pandémie.
  • La Géopolitique russe qui se sert du gaz pour maintenir la pression sur l'Europe dans le cadre du conflit ukrainien, évoquée plus haut.
  • Une conjonction d'événements malencontreux :
    • La faible disponibilité des centrales nucléaires françaises (parc ancien, découverte de phénomènes de corrosion)
    • La sécheresse historique qui sévit (refroidissement des centrales, transport fluvial de charbon, limitation du potentiel hydroélectrique)

Tertio, une question m'est régulièrement posée, qui est assez fondamentale pour comprendre les tenants et les aboutissants : quelle est la relation entre le prix du gaz et le prix de l'électricité ? Sur le marché, une hausse du prix du gaz se répercute immédiatement sur celui de l’électricité. Pourquoi ? Parce que la formation du prix de gros de l'électricité est déterminée par le coût de production de la dernière centrale mobilisée pour satisfaire la demande, qu'on appelle centrale "marginale" et qui est le plus souvent une centrale à gaz lors des pics de consommation. Le prix du gaz dicte en quelque sorte celui de l'électricité. En outre, plus l'énergie de production d'électricité est "sale", plus elle est affectée par le mécanisme d'échange de quotas carbone européens, donc plus elle est chère. Ainsi l'ensemble de la chaîne de prix se retrouve tirée vers le haut.

Quarto, les prix de l'électricité qui flambent actuellement sont ceux des prix de gros de l'électricité fixés par les bourses européennes dédiées (comme EPEX et Nord Pool). Il y a plusieurs produits allant du très court terme (intraday) à du long terme (l'année prochaine ou la suivante par exemple, ce sont les prix forwards et les futures). Généralement, on parle du prix spot comme référence car il ne s’agit pas d’une enchère en continu mais d’une enchère "à l’aveugle", la veille pour le lendemain, où les acteurs mettent tout sur la table. A 12h00, s’opère un fixing où un algorithme, suivant le principe de "merit order", détermine le prix d’équilibre entre l’offre et la demande. Ce prix correspond au coût marginal du système, c’est-à-dire au prix de revient du dernier mégawatt (MW) produit par la centrale la plus chère démarrée. En ce moment, la centrale la plus chère démarrée est une centrale gaz, d’où la flambée des prix de l’électricité, comme indiqué juste au-dessus. C'est un marché sur lequel opèrent les responsables d'équilibre (Balance responsibility party), qui sont principalement des producteurs, des distributeurs, des fournisseurs d’énergie, mais aussi les sociétés de trading. Comme la production et la consommation doivent être équivalentes à tout moment pour l'électricité, ces entités doivent équilibrer cette équation sur leur périmètre de responsabilité.

Les grands acteurs du marché de l'électricité (cliquer pour agrandir)
Les grands acteurs du marché de l'électricité (cliquer pour agrandir)

Pour illustrer cela de manière simpliste, prenons une régie locale d'électricité avec des moyens de production et des clients. Si un de ces moyens de production souffre d'une indisponibilité fortuite et que les clients consomment comme anticipé, alors la régie va acheter l'électricité manquante sur ce marché. A l'inverse, si la production est forte et que les clients consomment peu de manière non anticipée, alors la régie pourra vendre de l'électricité sur le marché. C'est là une illustration caricaturale du marché court terme mais qui aide à comprendre son fonctionnement. L'équilibrage a lieu à l'échelon national, car il y a des contraintes liées à la taille des lignes d'interconnexion.

Le fait que ces marchés soient gérés par des responsables d'équilibre limite a priori fortement la spéculation. Mais il faut distinguer le marché court terme du marché long terme. Ce dernier est peu liquide, et comprend beaucoup de transactions de gré à gré. Il y a par conséquent une faible transparence sur les prix puisque ces accords sont généralement confidentiels. C’est essentiellement un marché de couverture sur lequel la stratégie dépend des entreprises. En outre, il n’y a pas besoin d’avoir une égalité production / consommation puisque le débouclage s’opère ensuite au court terme. En revanche, il peut exister des positions spéculatives en plus des positions de couverture et d'arbitrage, même si la régulation donne une certaine visibilité sur les volumes concernés et limite l'effet de levier dont disposent les intermédiaires au regard de leur solidité financière.

Le fonctionnement du marché français

  • On démarre avec la production électrique

Dans l'hexagone, le mix-énergétique est particulier parce qu'il repose essentiellement sur l'énergie nucléaire pour produire de l'électricité. En temps normal, c'est environ 70% de la production totale. Mais depuis quelques temps et des déboires techniques et de sûreté sur un certain nombre de réacteurs du parc d'Electricité de France, on tourne plutôt à 55% de moyenne sur 30 jours, et même 50% pour le lundi 29 août à 16h00. Ce qui est formidable avec l'énergie, c'est qu'on a des statistiques d'une précision incroyable en temps réel ou presque. Donc en France quand le parc nucléaire fait grise mine, on complète principalement avec du gaz (10%), de l'éolien (9%), du solaire (7%) de l'hydroélectricité (6%) et de la biomasse (2%).

Bon, on est en été, donc le pic de consommation, malgré la climatisation, est proche de 56 GW. En hiver, la consommation est bien plus importante. Surtout quand la période est particulièrement froide. Le pic de consommation record de 2012 dépassait légèrement 100 GW en France. Les capacités installées d'EDF en France atteignaient fin 2021 quelque 117 GW (70,1 GW de nucléaire, 30,8 GW de renouvelables intégrant l'hydro, 14,3 GW de thermique gaz et 2,2 GW de thermique charbon). La capacité installée totale s'établit à 130 GW. Il faut en effet ajouter les installations détenues par les concurrents de l'énergéticien par exemple Engie (centrales gaz, énergies renouvelables, hydroélectricité en direct et via la CNR), Uniper (centrales charbon), E.ON (centrales gaz), TotalEnergies (centrales gaz) ou Neoen (ENR). Ce chiffre de 130 GW est théorique puisqu'il implique que la totalité du parc de production est opérationnel au moment où la puissance est appelée. Ce n'est jamais le cas, même en dehors des périodes d'indisponibilité exceptionnelle comme celle que nous vivons en ce moment, parce qu'il y a des périodes de maintenance, des installations qui sont hors circuit car utilisées seulement de façon sporadique, etc.

  • La consommation

Quant à savoir où file l'électricité produite en France, c'est assez simple : elle est consommée à hauteur de 36% par la clientèle résidentielle, de 31% par le secteur tertiaire et de 27% par l'industrie. Les 6% restants se partagent entre l'agriculture et le transport (qui consomment plutôt du pétrole que de l'électricité pour fonctionner, rappelez-vous bien la différence entre consommation d'énergie et consommation d'électricité).

Le marché français est ouvert à la concurrence depuis le 1er juillet 2007 pour l'électricité et le gaz. Cela signifie que les clients peuvent choisir entre différents fournisseurs. Il y a deux sortes de tarifs. Les tarifs réglementés, qui évoluent selon une formule fixée par les autorités, et les offres de marché. Les tarifs réglementés (TRVE pour l'électricité et, oui, vous l'avez deviné TRVG pour le gaz) offrent de la visibilité et un amortisseur face aux aléas du marché de l'énergie. Les tarifs de marché permettent aux fournisseurs alternatifs de proposer des offres plus agressives pour conquérir de nouveaux clients. D'autant que dans le domaine électrique, l'Etat force Electricité de France à leur mettre à disposition à bas prix une partie de sa production nucléaire (ce sont les tarifs ARENH). Mais quand les tarifs de gros explosent, le complément de fourniture devient bien plus onéreux et les coûts des énergéticiens explosent, ce qui peut se répercuter sur la facture des clients. Parfois immédiatement, parfois au renouvellement du contrat, selon les modalités proposées. On a ainsi vu des alternatifs comme Leclerc Energies abandonner le marché, ou plus récemment Iberdrola prévenir ses clients que leurs contrats ne seront pas renouvelés automatiquement, sans quoi ils subiraient des hausses tarifaires impossibles à gérer. Grâce aux dispositifs légaux, ces clients peuvent automatiquement revenir dans le giron d'une offre réglementée.

Voyons maintenant ce qui se passe pour un client électricité en France à la rentrée de septembre 2022.

  • La facture des particuliers et des petits pros

Tout le monde n'a pas accès aux TRVE, et ceux qui y ont accès ont parfois préféré une offre de marché, parce qu'elle était moins chère, plus flexible ou plus verte. Dans les faits, 64% des clients résidentiels et 33% des petits clients non-résidentiels bénéficient des TRVE. Le site moyen non-résidentiel et le grand site non-résidentiel n'ont plus accès qu'aux offres de marché depuis 2015. Depuis 2021, il ne reste plus que deux catégories de clients éligibles aux TRVE en France :

  • Les consommateurs domestiques (propriétaires uniques et syndicats de copropriétaires d'un immeuble unique à usage d'habitation).
  • Les consommateurs professionnels dont la puissance souscrite est inférieure à 36 kVA, qui emploient moins de 10 personnes et dont le chiffre d'affaires, les recettes ou le total de bilan annuels sont inférieurs à 2 M€.
Comment est composé le prix de l'électricité en France (Source SDES / cliquer pour agrandir))
Comment est composé le prix de l'électricité en France (cliquer pour agrandir)

Les bénéficiaires du TRVE sont les mieux protégés parce qu'ils profitent du "bouclier tarifaire" de l'Etat. En 2021, les TRVE avaient augmenté de 2,1%, soit une hausse voisine du niveau d'inflation, en dépit de la hausse des cours. La "main invisible du marché" avait disparu au profit d'une décision gouvernementale de limitation de la hausse des prix. Les TRVE sont certes réglementés, mais ils sont ajustés à l'aide d'une formule qui prend partiellement en compte la hausse des cours de l'énergie. Les autorités ont décidé de déroger à la formule pour empêcher l'explosion des prix. Cela ne fait pas tellement les affaires d'EDF, dont les coûts ne sont pas couverts et qui se trouve fragilisé pour investir, mais ce n'est pas le sujet du jour.

Rebelote en 2022. Malgré la hausse des cours, les TRVE n'augmenteront que de 4%, à la fois pour le résidentiel et le petit non-résidentiel. C'est là aussi le "fait du prince" gouvernemental, qui fait du bien au portefeuille des ménages et des petites structures à court terme mais moins aux finances publiques. En tout cas le dispositif de protection est très efficace, puisque les prix auraient décollé sans cela. Le bouclier énergétique version 2022 intègre aussi une extension de 20 TWh de volume d’ARENH pour les alternatifs (de l'électricité nucléaire vendue sous le tarif de marché), à un prix de 46,20 € le MWh, contre 42 € précédemment. Et la baisse pour un an de la taxe portant sur l’électricité (TICFE) à son niveau minimum prévu par le droit européen.

La facture des autres clients

Les professionnels, les collectivités et certaines copropriétés qui sont au prix du marché de par l'importance de leur consommation, eux, sont soumis aux conditions de leurs contrats respectifs. Il y a donc de multiples configurations possibles et un aléa de taille : la date de fin de contrat. Dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 2022, le Sénat souligne d'ailleurs qu'il est particulièrement difficile d'apprécier avec précision l'ampleur des effets de la hausse des prix de l'énergie sur les entreprises. En effet, la CRE signale par exemple que, concernant l'électricité, 54% des petits consommateurs professionnels ont un contrat à prix indexé. Quant aux gros consommateurs professionnels, si 71% des volumes contractualisés sont à prix fixe, ils le sont en grande majorité sur une durée de moins de deux ans. Les dates d'échéance de contrat ont donc une grande importance actuellement. Ceci dit, une bonne partie des contrats comprend une indexation sur les prix de gros, ce qui est évidemment un problème de taille dans le contexte actuel.

Intensité énergétique et marges des industries (Source Sénat avec DGEC, Insee / cliquer pour agrandir))
Intensité énergétique et marges des industries (cliquer pour agrandir). Lecture : l'industrie chimique réalise des marges élevées mais son intensité énergétique est extrêmement élevée.

Les industries les plus sensibles aux prix de l'énergie sont la chimie et la métallurgie. L'industrie manufacturière et l'agroalimentaire suivent, mais sensiblement plus bas. Toutefois, les marges moins élevées de ces deux secteurs les fragilisent malgré tout. Par comparaison, les industrie de la pharmacie et des transports, qui affichent des marges plutôt élevées, sont bien moins électro-intensives (et gazo-intensives). Il faut aussi noter que ces industries bénéficient de mesures d'accompagnement spécifiques et indépendantes des dispositifs de protection d'urgence, comme des taxes réduites sur la consommation et un tarif de transport de l'énergie adapté.

L'Etat a aussi créé un fonds doté de 3 Mds€ pour soutenir les entreprises qui ont du mal à payer leur facture énergétique.

Résumé du bouclier tarifaire à septembre 2022
Résumé du bouclier tarifaire à septembre 2022

Et le gaz ?

Les particuliers et les petites copropriétés dont la consommation est inférieure à un certain seuil (150 MWh/an) bénéficient aussi d'un bouclier tarifaire, pour autant qu'ils soient titulaires d'un contrat direct de fourniture de gaz naturel aux tarifs réglementés ou qui y sont indexés. Le dispositif, qui était réservé aux clients résidentiels individuels au régime TRVG, a été étendu à toute personne physique dont le logement est chauffé au gaz au printemps. Il a en outre été reconduit jusqu'à la fin de l'année, alors qu'il devait prendre fin le 30 juin. Concrètement, environ 11 millions de clients sont concernés. Toutefois, il faut noter que les TRVG prendront fin le 30 juin 2023, conformément au droit européen, ce qui constituera un nouveau problème épineux. Mais j'imagine qu'il va couler pas mal d'eau sous les ponts d'ici là ?

Il n'existe plus désormais que deux tarifs qui coexistent :

  • Les tarifs réglementés du gaz (TRVG). Les consommateurs ne peuvent plus souscrire de nouveaux contrats de ce type depuis la fin 2019.
  • Les offres de marché, qui peuvent être :
    • A prix variable, soit indexées sur les tarifs réglementés de vente ou sur différents produits ou soit évolutive selon une formule propre au fournisseur.
    • A prix fixe, sachant que la part fixe peut concerner la composante énergie du prix ou les prix du kWh et de l’abonnement.

Les professionnels qui utilisent du gaz, notamment les industries fortement consommatrices d'énergie précitées (Chimie, Métallurgie), se retrouvent confrontées à des problématiques de hausses de coûts, variables selon la structure de leurs contrats d'approvisionnement, leurs stratégies de couverture et les échéances de leurs accords. Environ la moitié des contrats des gros consommateurs sont à prix fixe, mais leur maturité varie. Pour les autres professionnels, ce taux monte à 71%. Pour autant, la flambée des prix du gaz va finir par lourdement grever la compétitivité de nombreuses entreprises. 

Les industries électro-intensives en France (cliquer pour agrandir)
Les industries électro-intensives en France (cliquer pour agrandir)

Les entreprises très consommatrices d'énergie sont regroupées au sein de l'Uniden en France. On y retrouve parmi les sociétés cotées Renault, Stellantis, Air Liquide, Arkema, Solvay, TotalEnergies, Air Products, Yara, Holcim, Vicat, X-Fab, Imerys, ArcelorMittal, Constellium, Eramet, Nyrstar, Essity, Aéroports de Paris, Saint-Gobain ou Verallia. On peut aussi citer Exacompta Clairefontaine, Gascogne, Befesa, ENI, Suez, Linde, Rio Tinto ou Tessenderlo, qui sont pour leur part membres du consortium Exeltium.

Un bouclier en or massif

On ne peut remettre en cause l'efficacité des dispositifs adoptés pour tempérer l'impact de la hausse des coûts de l'énergie en France. Mais c'est au prix de lourdes dépenses publiques, dont les proportions pourraient être considérables en fonction de la durée de la crise. Le coût des protections approchait déjà 20,7 Mds€ pour le budget de l'Etat en juillet, avant la nouvelle flambée que nous connaissons actuellement. "L'Europe paie une taxe massive à tous les fournisseurs d'énergie alors qu'elle ne devrait payer que le gaz. Tout caprice de Poutine ou de MBS entraîne des convulsions énergétiques croisées en Europe et l'argent quitte les consommateurs ou les poches du gouvernement pour filer dans celles des dictatures", souligne le patron du bureau d'études AlphaValue, Pierre-Yves Gauthier.

Pour donner un ordre d'idée, la facture énergétique française de 2021, c’est-à-dire la différence entre l'énergie consommée et l'énergie importée, avoisinait 44,5 Mds€. Le seul bouclier tarifaire a déjà coûté 20,7 Mds€ sur le 1er semestre. Evidemment, une telle configuration est intenable sur le long terme et la Commission européenne cherche des moyens de sectionner, au moins provisoirement, la relation étroite entre prix du gaz et prix de l'électricité.

Concernant les bénéficiaires, ce sont "assurément les producteurs de gaz les grands gagnants", me confie un professionnel du secteur. Il y a aussi les pays hors Europe qui sont moins affectés par cette flambée, dont les entreprises deviennent tout d’un coup très compétitives au détriment des entreprises du vieux continent. Et les grands perdants sont une fois de plus les consommateurs qui vont se faire cisailler entre les factures d’électricité, de chauffage et l’inflation indirecte engendrée par cette flambée sur tous les produits de consommation.

Quant à savoir si l'Humanité en profitera en matière de développement des énergies renouvelables et de sobriété énergétique, il risque de falloir attendre de sortir de la frénésie court-termiste pour y voir plus clair. Mais l'opportunité est évidente : des grandes crises naissent les grandes avancées.