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Défense

Russie : révélations sur ces militaires français sous influence

ENQUÊTE - Alors que la guerre fait rage en Ukraine, certains officiers français montrent une fascination, plus ou moins assumée, pour la Russie poutinienne. De Saint-Cyr à l’ambassade de France à Moscou, révélations sur plusieurs affaires embarrassantes.

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Ambassade de France à Moscou.

L'ambassade de France à Moscou est concernée par plusieurs affaires embarrassantes. 

Kirill KUDRYAVTSEV / AFP

En ce doux mois de septembre 2019, deux hommes se retrouvent à Stresa, sur les rives du très chic lac Majeur (nord de l’Italie). L’un, Lionel L., est un lieutenant-colonel de l’armée de terre française, en poste sur la base de l’Otan à Lago Patria, près de Naples. L’autre, Iouri A., est un agent du redoutable service de renseignement militaire russe, le GRU. Dans le viseur du contre-espionnage occidental depuis une opération menée en Autriche au début des années 2010, l’espion est arrivé quelques jours plus tôt en Italie, accompagné de sa fille d’une vingtaine d’années. Une bonne couverture, songe-t-il probablement. Loupé: le rendez-vous, de deux heures et demie et effectué en partie en russe, est immortalisé par les photos prises par les services italiens. Il marque en tout cas la fin de la partie pour l’officier français, sous la surveillance de la DRSD (Direction du renseignement et de la sécurité de la défense, la contre-ingérence militaire) depuis plusieurs mois. Lionel L. est interpelé le 17 août 2020, et entendu par la DGSI.

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Des documents classifiés ont-ils été transmis? L’officier, artilleur de formation, jure le contraire. "Mon client n’aurait pas dû accepter de rencontrer cette personne, certes, mais il ne lui a communiqué aucune information", assure son avocat, Antoine Beauquier. Les enquêteurs retrouveront tout de même un téléphone et trois clés USB fournis par l’agent du GRU dans la salle de bain napolitaine du militaire. Le contre-espionnage français envisage également un temps, que Lionel L. ait pu remettre des documents à Moscou via un prêtre orthodoxe avec qui il a déjeuné au printemps 2020 dans les environs du Mans. Cette piste sera ensuite écartée. Des documents confidentiels du Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) où le Français a officié au début des années 2000, relatifs au système ferroviaire hexagonal, seront aussi retrouvés dans sa maison en banlieue parisienne. Une faute qui relèverait surtout de la négligence, selon les enquêteurs.

"Les Américains nous ont mis une pression de dingue"

Entre le lieutenant-colonel et la Russie, l’histoire d’amour est ancienne. Dans les années 1980, ce catholique fervent, russophone et russophile, avait décroché une licence de slavistique (étude des langues slaves) à la Sorbonne, avant de réussir le concours de Saint-Cyr. L’artilleur, 57 ans, avait poursuivi sa carrière comme attaché de défense au Kazakhstan de 2014 à 2016, avant d’être envoyé à l’Otan. Libéré début 2022 et sous contrôle judiciaire, Lionel L., mis en examen pour "livraison à une puissance étrangère d'informations portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation", attend désormais la fin de l’instruction, et un éventuel procès. Sa défense assure que le quinquagénaire a contacté plusieurs mois après sa rencontre avec Iouri A., deux amis au sein de la DRSD pour signaler l’approche du Russe.

Au sein de l’État, l’affaire irrite au plus haut point. "Sans présager de sa culpabilité et d’une éventuelle livraison de documents à la Russie, il est consternant de voir un officier de ce niveau se montrer aussi vulnérable", observe un haut fonctionnaire au fait de ce dossier sensible. D’autres s’étonnent du manque de célérité des autorités à traiter un cas identifié depuis des mois. "On a avancé parce que les Italiens, et surtout les Américains, nous ont mis une pression de dingue sur cette affaire qui menaçait l’OTAN", reconnaît une source au sein des services français.

Cas isolé? Ou reflet d’une porosité de certains officiers tricolores face à l’influence russe? Alors que la guerre en Ukraine fait rage et que Vladimir Poutine a clairement désigné l’Occident comme l’ennemi numéro un de son pays, la question de l’influence de Moscou au sein des armées apparaît ultrasensible pour le ministère des Armées. "Les sympathies pro-russes dans les armées, c’est un peu le sujet tabou, sur lequel on jette un voile pudique, résume Olivier Schmitt, professeur au Center for War Studies (CWU) de l’université du sud Danemark. Il y a un réflexe atavique de protection de l’institution, mais le phénomène existe bel et bien, avec une frange, notamment au sein de l’armée de terre, très minoritaire mais structurée."

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Les "russo-béats"

Dans la sphère pro-russe, il y a d’abord la partie émergée de l’iceberg: une brochette d’officiers de deuxième section (à la retraite), qui ne cachent pas une certaine sympathie, quand ce n’est pas un soutien total, pour la Russie. On y trouve des signataires de la fameuse "tribune des généraux" de 2021, comme Dominique Delawarde, Antoine Martinez et Christian Piquemal, mais aussi des personnalités telles que le général Jean-Bernard Pinatel, vice-président du think tank pro-russe Geopragma, qui suggérait en 2016 de "s’allier à la Russie et faire disparaître l’Otan". Un gradé dans les services nuance leur influence. "Une bonne partie de ces retraités sont ce qu’on appelle des ‘généraux quart de place’, des colonels qui ont été nommés généraux à leur retraite [et qui bénéficient donc des 75% de réduction SNCF offerts aux officiers généraux, NDLR], assure-t-il. Il ne faut pas surestimer leur influence ou leur représentativité."

Mais il y a aussi une partie souterraine, plus discrète, mais bien présente: des profils pro-russes, "russo-béats" selon le terme adopté par la contre-ingérence, au sein même de l’armée d’active. "Il y a une réelle fascination pour le régime poutinien chez certains officiers français, notamment des profils traditionnalistes violemment anti-américains et anti-Otan, assure le vice-amiral Patrick Chevallereau, ancien chef de la division "Euratlantique" au commandement stratégique de l’OTAN à Norfolk (Etats-Unis). Ces petites musiques relativistes, qui ferment les yeux sur les crimes russes et le fait que la France est une cible pour Moscou, instillent le doute dans l’institution. On ne se bat pas bien si on est habité par le doute."

Où se trouvent les grands "hubs" pro-russes des armées? Les anciens attachés de défense à Moscou ou dans les ex-républiques soviétiques apparaissent comme un foyer important. C’est notamment le cas d’une affaire racontée ici pour la première fois. Début 2018, le colonel Éric Kunzelmann, 52 ans, est attaché de défense à l’ambassade de France en Russie. L’empoisonnement au Royaume-Uni, par les services russes, de l’ancien agent double Sergueï Skripal, met les relations des deux pays à rude épreuve. Paris décide d’expulser quatre espions russes de son territoire. Moscou réplique en refoulant vers Paris quatre fonctionnaires français. Éric Kunzelmann fait partie du vol.

L’aller-retour improbable de l’attaché de défense à Moscou

Persona non grata à Moscou, le "Kunz", comme l’appellent certains, repart pourtant illico pour la Russie. Le coup d’éclat ne passe pas inaperçu: la DRSD ouvre aussitôt une enquête et dépêche à ses trousses plusieurs "chaussettes à clous" (le surnom des agents de ce service de 1.400 personnes dont le budget va doubler d’ici à 2030). Le contre-espionnage avait déjà à l’œil depuis un moment ce colonel russophile et russophone, passé par la prestigieuse Académie militaire de l’État-major de la Fédération de Russie (équivalent de l’Ecole de guerre française), et qui s’était mis en couple avec une Russe travaillant chez Atout France, agence de développement touristique rattachée à l’ambassade française à Moscou. En mars, Kunzelmann avait aussi provoqué l’ire du cabinet de la ministre des Armées, Florence Parly, en expliquant dans une note que les preuves manquaient pour affirmer que la Russie était derrière la tentative d’assassinat de Sergueï Skripal.

 Crédit : Ministère de la Défense de Russie.
Éric Kunzelmann (deuxième en partant de la gauche) participe le 26 septembre 2017, à Moscou, à une réunion avec le chef de la Direction générale de la coopération militaire internationale du ministère de la Défense russe, Alexander Kchimovsky. © Ministère de la Défense de Russie.

 

Dossier vide? Volonté d’étouffer l’affaire? Le ministère des Armées décide en tout cas de ne pas donner suite à l’enquête de la DRSD. Mais l’officier, placardisé, privé des étoiles de général qui lui étaient promises, fait le choix de tirer un trait sur plus de 30 années de carrière militaire. "Toute cette affaire a été montée en épingle par la DRSD et par des néo-conservateurs pro-Otan et anti-Russie, assure à Challenges le quinquagénaire, qui dirige maintenant une entreprise d’aide à la personne en Alsace. J’ai commis l’erreur de retourner en Russie après mon expulsion, car je voulais m’installer dans le pays pour conseiller des groupes étrangers. Mais je n’ai jamais franchi la ligne rouge." Une version corroborée par l’ambassadrice de France en Russie de 2017 à 2019, Sylvie Bermann, qui évoque "une histoire romantique." Et rappelle la célèbre formule du général de Gaulle – "Alors, Dejean, on couche?" - lancé à l’ambassadeur à Moscou Maurice Dejean qui avait dans les années 1960 une liaison connue avec une jeune comédienne russe.

Les tweets du patron de la Légion

Ce penchant sentimental pour la Russie des militaires français en poste dans l’ex-URSS n’est toutefois pas isolé. Mi-2018, nouvelle alerte à l’ambassade de France à Moscou: cette fois, c’est le mariage d’un autre militaire français avec une Russe du service des visas qui débouche sur une enquête de la DRSD. Excédé, l’exécutif décide de nettoyer les écuries d’Augias: la quasi-totalité de la mission de défense tricolore à Moscou, soit une dizaine de personnes, est progressivement remerciée et remplacée. "Ces exemples montrent un manque de discernement assez incompréhensible de la part d’officiers en mission à Moscou, estime Patrick Chevallereau. On sait très bien que les compromissions avec les services russes débutent souvent par des histoires de ce type."

Un autre ex-attaché de défense à Moscou a également fait preuve d’une proximité idéologique étonnante avec le pouvoir russe. Comme l'a révélé L’Express, le général de division Jean Maurin, alors à la tête de la Légion étrangère, avait multiplié en 2018 les retweets de contenus anti-Otan, de communiqués de l’ambassade de Russie en France, mais aussi de dessins admiratifs pour Poutine et humiliants pour Emmanuel Macron. L’ancien para, dont l’avancement avait été bloqué en 2013 à cause de sa participation à une manifestation anti-mariage pour tous, était allé jusqu’à relayer des communiqués du ministre des affaires étrangères russe Sergueï Lavrov niant les bombardements chimiques du dictateur syrien à Douma… des attaques que la France venait de confirmer la veille, éléments déclassifiés à l’appui.

Ce tropisme pro-russe n’a guère plombé la fin de carrière de l’officier. Le général Maurin, proche de Benoît Puga (ex-chef d’état-major particulier de Nicolas Sarkozy et François Hollande), a même eu droit à un adieu aux armes en présence du major général de l’armée de terre Bernard Barrera. Quelques semaines plus tard, le Saint-Cyrien, qui n’a pas répondu à nos questions, partait chapeauter la sûreté de la filiale russe de Renault. Un retour aux sources pour celui qui s’était offert le mythique 4×4 russe UAZ lors de sa formation à l’Académie militaire de l’État-major de la Fédération de Russie en 2004. Jean Maurin est aujourd’hui directeur de la protection du constructeur français. "Quand je tape trop fort sur Moscou sur LCI, il m’appelle parfois pour me dire que je suis un anti-Russe primaire", rigole le général Michel Yakovleff, ancien vice-chef d’état-major du Shape, le commandement allié opérations de l’Otan.

Le cas Saint-Cyr

Ces sympathies pour la Russie sont aussi très présentes dans l’enseignement militaire, autre foyer de "russo-béats". Si l’École de guerre a été "nettoyée" il y a quelques années, avec le départ d’Aymeric Chauprade, ancien pilier des réseaux russes du Front national, et de la pro-Kremlin Caroline Galactéros, proche d’Éric Zemmour, l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, pépinière des officiers de l’armée de Terre, est au cœur des débats. Selon nos informations, le chef du département "war studies" de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, Thomas Flichy de la Neuville, a ainsi été évincé de son poste en 2019 après une enquête de la DRSD qui a pointé les liens entretenus par ce dernier avec certaines puissances étrangères.

Les positions favorables à la Russie mais aussi à l’Iran et à la Syrie de ce docteur en droit nommé en 2011, avaient été signalées par plusieurs de ses collègues, à maintes reprises, sans que la direction de l’école n’y prête attention. Jusqu’à la goutte de trop: l’organisation par l’enseignant, en mai 2018, d’un colloque où étaient conviés deux propagandistes du régime de Bachar al-Assad (Vanessa Beeley et Piers Robinson), qui avait provoqué la colère de l’hôtel de Brienne.

Proche de l’historien d’extrême-droite Bernard Lugan, suspendu de cours à Saint-Cyr en 2015 par le cabinet de Jean-Yves Le Drian, Thomas Flichy de la Neuville a su rebondir. Il est aujourd’hui le titulaire de la Chaire de géopolitique à la Rennes School of Business. Invité sur l’antenne de Radio Notre-Dame le 24 février 2022, jour de l’invasion russe, il assénait que l’Ukraine est "une entité artificielle", dont la partie orientale est "peuplée de Russes". "Poutine fait entrer ses troupes dans une partie qui est russe depuis très longtemps", poursuivait le docteur en droit, assurant que "l’agression occidentale (…) avait généré la réplique de Vladimir Poutine".

 Crédit : Capture d\'écran CNEWS.
Thomas Flichy de la Neuville, le 9 avril 2022 sur le plateau de CNEWS. © Capture d’écran CNEWS

 

"Une secte d’ultra-droite, pro-russe"

Simple mouton noir? Plusieurs sources interrogées par Challenges évoquent au contraire une véritable mouvance organisée au sein de Saint-Cyr, autour de Bernard Lugan, ou de l’ancien directeur du pôle d'éthique militaire Henri Hude. "Une secte d’ultra-droite, identitaire et pro-russe, s’est installée à bas bruit au sein de l’encadrement de Saint-Cyr, assure Bruno Judde de Larivière, professeur de géographie à Coëtquidan de 2003 à 2021. Les directions successives l’ont laissée prospérer, et gagner une sorte de leadership idéologique." "Sans l’intervention de la DRSD, Flichy serait encore à Saint-Cyr aujourd’hui", abonde un enseignant toujours en poste.

Une autre source, sous couvert d’anonymat, pointe le laxisme de la direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER) de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr. Le titulaire du poste de 2008 à 2018, Éric Ghérardi, est aujourd’hui président de l’Institut catholique de Vendée (ICES) cher à Philippe de Villiers. Contacté par Challenges, il soutient n’avoir "jamais eu le moindre problème avec M. Flichy." De la même manière, Henri Hude évoque des "fantasmes" et estime que "Saint-Cyr n’est pas plus pro-américain que prorusse."

Au-delà de ce cas, d’anciens "cyrards" (le surnom des élèves de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr), se sont illustrés depuis l’invasion de l’Ukraine. A commencer par Xavier Moreau, quinquagénaire proche de l’extrême-droite qui se fait la voix du Kremlin à coups "d'analyses politicostratégiques" diffusées sur son site (Stratpol). Proche d’Alexey Korotaev, général du SVR (renseignement extérieur), et fait citoyen russe en 2013 – ce qui le rend mobilisable par l’armée, Xavier Moreau a notamment rempli un rôle d' "observateur étranger" à Rostov, Donetsk et Taganrog lors des référendums d'annexion organisés par Moscou dans quatre régions ukrainiennes en septembre 2022. Le colonel Alain Corvez, ex-cyrard et coqueluche de la chaîne Russia Today France, était également présent. Les deux hommes ont notamment contribué à l’ouvrage Géopolitique de la Russie (Éditions SPM) publié en 2019, aux côtés de deux enseignants actuels de Saint-Cyr, Olivier Hanne et Éric Pomès.

Xavier Moreau (à gauche) remet l’un de ses livres sur l’Ukraine au journaliste pro-Kremlin Vladimir Soloviev qui a appelé à "frapper la France" en janvier 2023 après l’annonce par Paris de futures livraisons de chars à l’Ukraine.

Si l’Académie de Saint-Cyr n’a pas répondu à nos questions, pas plus que Thomas Flichy de la Neuville, un proche prend la défense de l’institution. "Saint-Cyr est attaché à la pluralité des opinions, avec des profils idéologiques très divers, dont certains sont d’ailleurs très à gauche, insiste cette source. Mais les cas qui franchissent la ligne rouge sont traités."

Les notes intrigantes de la DRM

Une autre institution militaire clé est accusée de s’être montrée trop bienveillante vis-à-vis du Kremlin, notamment de 2015 à 2017: la Direction du renseignement militaire (DRM). Durant cette période, marquée par la déstabilisation du Donbass et l’annexion de la Crimée par Moscou, le service de renseignement publie notamment une série de quatre notes qui démontent les informations des États-Unis, et de la DGSE, selon lesquelles les missiles russes SSC-8 sont contraires au traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI). La publication sur un même sujet de notes discordantes des deux principaux services français de renseignement extérieur fait jaser au sein de l’État. "C’était un problème conjoncturel, confie un ancien cadre de la DRM. A cette époque, l’officier traitant Ukraine de la DRM, basé à Paris, était un lieutenant-colonel russophone, pro-russe. Son prisme était évident."

D’autres cas semblent plutôt relever du manque de précaution. A l’été 2022, un membre du CESA, le Centre d’études stratégiques aérospatiales rattaché au major-général de l’armée de l’air, avait proposé que le journaliste Régis Le Sommier, passé par RT France et actuel directeur de la rédaction du média pro-Kremlin "Omerta" lancé à l’automne dernier, intègre le réseau "Ader", un cénacle prestigieux de colonels de la réserve citoyenne de l’armée de l’air et de l’espace. L’initiative a été retoquée au dernier moment par l’État-major des armées, alerté par un observateur vigilant.

Faut-il s’inquiéter de ces sympathies pro-russes? Un haut gradé de l’armée de terre nuance la menace. "Il y a des cas, il ne faut pas le nier, mais croyez-moi: les militaires qui ont vu de près l’armée russe ou Wagner, en Afrique, en Syrie ou ailleurs, n’ont pas une once de sympathie pour ces gens-là", assure-t-il. Kévin Limonier, maître de Conférences à l’Institut Français de Géopolitique de l’Université Paris 8 et expert de la Russie, relativise aussi l’influence de Moscou. "Il y a un tropisme pro-Poutine chez certains officiers d’une catégorie socioprofessionnelle bien définie, observe-t-il. Mais les décideurs à Balard ou à Brienne, ceux qui ont les responsabilités n’ont pas ce profil et sont plutôt favorables à l’Otan."

Certains le sont même de façon excessive. "Il y a une école ‘otanolâtre’, au sein des armées, avec des profils très pro-américains, souvent aviateurs ou marins, ultra-alignés sur Washington, dont il faut parfois freiner les ardeurs", assure un ancien ponte de l’hôtel de Brienne. La comparaison a cependant ses limites. C’est bien avec la Russie, aux "ambitions révisionnistes", que la Revue nationale stratégique de 2022, le document qui a servi de base à la loi de programmation militaire en cours d’examen, évoquait une possible "confrontation ouverte". Si elle se proclame "puissance d’équilibres", la France a, de longue date, choisi son camp.

Quand Moscou avait un œil à la DGSE

La DGSE n’a pas non plus été épargnée par l’agressivité des services russes. L’un des exemples les plus édifiants remonte au tout début des années 2000. Après avoir intégré le boulevard Mortier (surnom de la DGSE) en 1998, une jeune analyste du bureau Russie effectue en 2000 une mission en Tchétchénie où est retenu en otage le journaliste français Brice Fleutiaux. Certains de ses collègues sont à l’époque troublés de la voir se signer devant les églises orthodoxes de Grozny. Elle part ensuite renforcer les équipes de la DGSE à Moscou à l’occasion de l’élection présidentielle du 26 mars 2000 qui verra Vladimir Poutine être élu au premier tour avec 52,94% des voix. C’est à son retour à Paris, en avril, que le pot aux roses est incidemment découvert par les agents de la Direction de la surveillance du territoire (DST). Ces derniers surveillent un espion russe qui a une liaison avec une jeune femme. En prenant celle-ci en filature, ils découvrent qu’elle travaille boulevard Mortier. Un annuaire papier comprenant les noms des agents officiant au siège parisien du service est retrouvé chez elle. Les limiers de la DST la soupçonnent fortement d’avoir livré des documents classifiés aux services russes. L’affaire provoque un branle-bas-de combat au sein de la DGSE, qui décide de ne pas faire de vague et pousse discrètement l’espionne vers la sortie. Cette dernière est aujourd’hui membre du comité exécutif et directrice de la communication d’un grand groupe français.

 

Droit de réponse

L’article intitulé «Les liaisons dangereuses» publié par le magazine Challenges et le site challenges.fr concernant les liens entre certains militaires et la Russie de Vladimir Poutine a suscité de vives réactions, notamment à Saint-Cyr. Conformément au droit de la presse, voici des extraits des courriers reçus avec une demande de "droit de réponse". 

"J’ai été très surpris de me voir accusé d’un jeu trouble et d’être pro-russe. J’ai toujours dit que Zelensky s’était révélé un vrai chef de guerre et qu’aucun des deux acteurs ne pouvait gagner. Comme le recommande régulièrement le général Miley, chef d’état-major de l’armée américaine, je pense depuis le début qu’il faut négocier pour résoudre cette guerre civile entre les russophones et les autres, dont l’origine remonte à la création de l’Ukraine moderne en 1918. Analyser les raisons profondes du conflit et refuser d’être atlantiste ne vous permet pas de m’accrocher l’étoile rouge."

Alain Juillet, ex-cadre de la DGSE

"Mon nom a été associé sans fondement à une idéologie politique. Ce qui met en cause ma pratique de chercheur et détourne l’attention des lecteurs, mettant sur le même plan les faits traités avec une appartenance et une adhésion politiques supposées."

Claude Weber, sociologue, enseignant détaché à l’Académie militaire de Saint-Cyr

"En tant que chercheur, je n’ai jamais émis une analyse pro ou anti russe, car cela ne relève pas de mon travail; en tant que citoyen je suis scandalisé par la guerre menée contre l’Ukraine ; mes travaux portent sur les questions d’islam et uniquement; je n’appartiens à aucun groupe politique, la seule étiquette que j’accepte publiquement est d’être catholique, raison pour laquelle j’enseigne à l’Ices, Institut catholique de Vendée, et non pour une quelconque passion nationaliste."

Olivier Hanne, professeur à l’Académie militaire de Saint-Cyr.

"Je trouve particulièrement étonnant, pour ne pas dire insultant, d’oser écrire "mais le phénomène existe bel et bien, avec une frange, notamment au sein de l’armée de terre, très minoritaire, mais structurée". Un proverbe français nous dite que « c’est l’exception qui confirme la règle » et, à la lecture de votre article et à l’écho que vous semblez lui donner, "ce serait plutôt l’exception qui faire la règle". Ce n’est pas parce que quelques-uns émettent des objections sur l’approche otanienne et américaine, qu’ils doivent être classés systématiquement comme pro-russes".

Général d’armée (2S) Bruno Dary, président de La Saint-Cyrienne.

 

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