Mesures d’urgence

Le père de la loi veut voir l’avis juridique

Ottawa — Le père de la Loi sur les mesures d’urgence, Perrin Beatty, estime que le gouvernement devrait dévoiler l’avis juridique sur lequel il s’est appuyé pour recourir à cette législation d’exception l’an dernier et mettre fin au « convoi de la liberté ». Le rapport de la Commission sur l’état d’urgence est attendu d’ici lundi.

Cet avis juridique avait été évoqué à plusieurs reprises lors des audiences de la commission présidée par le juge Paul Rouleau, mais le gouvernement avait refusé de le rendre public. On ne sait donc pas sur quel fondement juridique il s’est appuyé pour considérer le convoi de la liberté et les autres convois de camions ailleurs au pays comme une menace à la sécurité nationale.

La loi définit toute menace à la sécurité nationale comme de l’espionnage ou du sabotage, de l’ingérence étrangère, l’usage de violence grave et la tenue d’activités pour renverser le gouvernement. Elle précise que cette définition ne s’applique pas aux manifestations licites.

Le convoi de la liberté, qui a paralysé le centre-ville d’Ottawa pendant un peu plus de trois semaines l’an dernier, était perçu comme une occupation par les autorités, mais aussi comme une manifestation par ses organisateurs.

« J’espère que le gouvernement va mettre l’avis juridique à la disposition des Canadiens », a souhaité M. Beatty en entrevue tout en évitant de se prononcer sur la décision du gouvernement de recourir à cette législation. Celui-ci n’avait pas encore 40 ans lorsqu’il a piloté la transformation de la Loi sur les mesures de guerre. La Loi sur les mesures d’urgence, qui l’a remplacée en 1988, se voulait plus nuancée.

« Elle a été conçue pour fournir au gouvernement un scalpel plutôt qu’une masse afin de faire face aux urgences les plus extrêmes », a-t-il rappelé.

Lorsqu’il a présenté son projet de loi, l’ex-ministre de la Défense nationale dans le Cabinet de Brian Mulroney ne pensait pas que la loi serait utilisée pour réagir à des désordres civils ou même à une guerre.

Le scénario le plus probable, selon lui, était une catastrophe naturelle qui serait au-delà de la capacité de gestion d’un gouvernement provincial, comme un tremblement de terre majeur en Colombie-Britannique.

« Ce serait un exemple parfait d’un évènement qui serait de nature régionale, où des pouvoirs extraordinaires devraient être utilisés très rapidement pour sauver la vie des gens et pour protéger leur sécurité », a-t-il expliqué.

Il aurait ainsi été inutile de suspendre les droits fondamentaux des gens dans une autre province qui n’aurait pas été touchée par la catastrophe, contrairement à ce qui s’était produit lors du recours du gouvernement de Pierre Elliott Trudeau à la Loi sur les mesures de guerre lors de la crise d’Octobre.

M. Beatty avait alors en tête certaines dérives, notamment à l’Université de Guelph où la Gendarmerie royale du Canada avait saisi les plaques servant à l’impression du journal étudiant. Celui-ci s’apprêtait à publier le manifeste du Front de libération du Québec. Le maire de Vancouver de l’époque, Tom Campbell, avait également songé à se prévaloir des pouvoirs extraordinaires accordés par la Loi sur les mesures de guerre pour débarrasser le centre-ville de ses hippies. Il ne l’avait finalement pas fait.

Révoqué avant de voter

« Ce que je n’avais pas en tête à l’époque, c’est que la crise serait terminée au moment où le gouvernement voterait le recours à la Loi sur les mesures d’urgence », a soulevé l’ex-ministre. Le gouvernement Trudeau a révoqué l’état d’urgence avant même que le Sénat ait la chance de tenir un vote, quelques jours après la vaste opération policière qui avait mis fin au convoi de la liberté à Ottawa.

Il a comparé cette loi à l’alarme d’incendie derrière une vitre qu’il faut casser pour la déclencher.

« Elle n’a pas été conçue pour [mettre fin aux] nuisances après que tout le reste a échoué. Nous étions très clairs sur le fait qu’il devait y avoir une véritable urgence et la définition de cette urgence avait été délibérément rédigée en incluant un seuil très élevé. »

– Le père de la Loi sur les mesures d’urgence, Perrin Beatty

Il avait alors fait le choix de reprendre la définition de menace à la sécurité nationale dans la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité adoptée quelques années auparavant, dans la foulée de la commission McDonald sur les activités de la Gendarmerie royale du Canada. La Commission avait recommandé la création du SCRS. La définition venait déjà de faire l’objet d’un examen et d’un débat approfondis quelques années plus tôt.

L’interprétation de cette définition a été au cœur de la Commission sur l’état d’urgence puisque le gouvernement considère la menace que posaient les convois de camions à l’économie du pays comme un danger pour la sécurité nationale. Le rapport du juge Paul Rouleau, qui préside la Commission, est attendu d’ici le 20 février.

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