À mesure que les grandes institutions financières du monde se rallient à des objectifs communs de lutte contre les changements climatiques, la différence entre les discours officiels et la vraie vie commence à apparaître clairement.

On le voit actuellement au Texas, qui vient de bannir de ses terres BlackRock, le plus gros investisseur institutionnel de la planète, parce qu’il s’est engagé à réduire le poids des énergies fossiles dans son portefeuille.

BlackRock et neuf autres institutions financières, dont Credit Suisse et UBS, sont maintenant sur une liste noire et ne peuvent plus faire affaire avec l’État du Texas.

Le contrôleur de l’État a réclamé aux institutions financières et fonds d’investissement soupçonnés de boycotter le pétrole des preuves que ce n’était pas le cas, si elles voulaient continuer à faire des affaires sur son territoire.

Le Texas estime que les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) et la volonté affichée de plusieurs grands investisseurs d’éliminer les énergies fossiles de leur portefeuille équivalent à un boycottage du pétrole et à un affront pour son économie.

« Le mouvement ESG a conduit à un système opaque et pervers dans lequel les entreprises financières ne prennent plus de décisions dans l’intérêt de leurs actionnaires, mais utilisent plutôt leur pouvoir pour promouvoir un programme social et politique », a dénoncé le contrôleur de l’État, Glenn Hegar, qui les qualifie de « wokes ».

La liste noire du Texas

Entreprises qui n’ont plus accès aux marchés publics :

  • BLACKROCK (États-Unis)
  • BNP PARIBAS (France)
  • CREDIT SUISSE (Suisse)
  • DANSKE BANK (Danemark)
  • JUPITER FUND MANAGEMENT (Royaume-Uni)
  • NORDEA BANK (Finlande)
  • SCHRODERS (Royaume-Uni)
  • SVENSKA HANDELSBANKEN (Suède)
  • SWEDBANK (Suède)
  • UBS (Suisse)

Source : Texas Comptroller of Public Accounts

Les institutions ciblées par le Texas sont signataires de la Glasgow Financial Alliance for Net Zero, sous l’égide de l’ONU et présidée par Mark Carney, l’ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre. Quelque 160 entreprises qui gèrent un actif total de 70 000 milliards US se sont ainsi engagées à éliminer graduellement leur soutien au secteur de l’énergie fossile dans le but d’atteindre l’objectif net zéro de leur portefeuille en 2050.

Le Texas, qui produit 43 % de tout le pétrole américain et 25 % du gaz naturel, a décidé de réagir à ce qu’il estime être une attaque contre son économie. Il s’est doté d’une loi pour interdire aux institutions financières qui boycottent le pétrole de participer à son marché obligataire et à la gestion des caisses de retraite de ses employés.

Le Texas considère comme un boycottage toute action visant à limiter les relations commerciales d’une banque avec une entreprise pétrolière ou gazière parce que cette dernière ne va pas au-delà des exigences environnementales minimales.

En réponse aux questions du contrôleur de l’État, la plupart des institutions financières ciblées ont travaillé fort pour passer le test et pouvoir continuer de brasser des affaires au Texas.

« Prétendus engagements dénoncés »

C’est le cas de la Banque Royale, dont les engagements climatiques ont été jugés suffisamment insignifiants pour plaire à l’État.

La plus grande banque canadienne, qui a pris l’engagement de rendre son portefeuille de prêt carboneutre en 2050, a assuré au Texas qu’elle n’était pas du tout anti-pétrole. Ce serait plutôt le contraire, selon ce qu’elle a répondu au contrôleur de l’État, en insistant sur le fait qu’elle a des prêts d’une valeur de 25 milliards de dollars dans le secteur pétrolier et gazier. Il est possible, a fait valoir la Royale, de financer les entreprises du secteur des énergies fossiles et de lutter en même temps contre les changements climatiques.

Reste que les engagements vertueux pris par les institutions financières tardent à être suivis d’actions concrètes. C’est d’ailleurs ce que reproche Greenpeace à la Banque Royale et aux autres banques canadiennes, dans un rapport publié la semaine dernière1.

Le rapport dénonce les « prétendus engagements » des banques canadiennes et soutient qu’elles devraient être exclues par les Nations unies de l’alliance internationale net zéro si elles ne font pas plus d’efforts pour faire progresser la lutte contre les changements climatiques.

Dans sa réplique officielle, BlackRock a déploré la politisation du débat par l’État du Texas et l’imposition de barrières pour accéder à son marché, qui va à l’encontre des intérêts de la population, a-t-elle fait valoir.

Le grand patron de BlackRock, Larry Fink, s’est fait le champion de la lutte contre les changements climatiques sur toutes les tribunes. Le géant financier est quand même le deuxième plus grand actionnaire d’ExxonMobil, avec une participation de 6 % de son capital-actions et qui gère 20 milliards de fonds publics au Texas.

En plus du Texas, l’État de la Virginie-Occidentale, important producteur de charbon, a aussi banni deux banques américaines, Wells Fargo et JP Morgan Chase, de ses marchés publics en raison de leurs engagements climatiques.

La liste noire du Texas, elle, contient 10 entreprises, la plupart européennes, et 354 fonds d’investissement. Cette guerre ne fait que commencer. Les contribuables des États concernés souffriront de la réduction de la concurrence qui résultera du bannissement de certains acteurs du marché. D’un autre côté, les banques auront de plus en plus de mal à parler des deux côtés de la bouche en même temps.

1. Lisez le rapport de Greenpeace