L’UE traduit Malte en justice pour ses « passeports dorés »

Malte accueille les yachts et autrefois leurs riches propriétaires de pays tiers, qui pouvaient acheter la citoyenneté maltaise. [EPA-EFE/DOMENIC AQUILINA]

Jeudi (29 septembre), la Commission européenne a officiellement attaqué Malte devant la plus haute juridiction de l’UE en raison de son système d’octroi de passeports et de la nationalité maltaise à de riches citoyens de pays tiers en échange d’argent et d’investissements.

La Commission a déclaré qu’elle considérait ce système comme une violation du droit communautaire et qu’elle demandait depuis longtemps à Malte, qui est membre de l’UE depuis 2003, de le démanteler par crainte du blanchiment d’argent et de l’octroi de la citoyenneté à des personnes à haut risque.

« En offrant la citoyenneté en échange de paiements ou d’investissements prédéterminés à des personnes sans lien véritable avec l’État membre concerné, Malte enfreint le droit européen », a tweeté Didier Reynders, commissaire européen chargé des affaires judiciaires.

« Les valeurs de l’Union européenne ne sont pas à vendre », a-t-il ajouté.

Le gouvernement maltais a répondu par une déclaration dans laquelle il a nié que le système enfreignait la législation européenne et a réaffirmé que sa politique d’octroi de citoyenneté relevait strictement de la compétence nationale.

L’action en justice « donne à Malte l’occasion de continuer à réfuter lesdites allégations et de laisser la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) se prononcer sur la question », a déclaré le gouvernement.

Si Malte perd son procès devant la CJUE, elle devra se conformer à la décision de justice et pourraît s’exposer à de lourdes amendes.

L’histoire du système

Ce système controversé a été annoncé peu après l’arrivée au pouvoir de l’ex-Premier ministre Joseph Muscat, aujourd’hui tombé en disgrâce. Il s’agissait d’une concession accordée à Henley & Partners, une société qui gère des systèmes similaires dans le monde entier.

Ce système a permis à des centaines de candidats, principalement russes, chinois et saoudiens, ainsi qu’à leurs familles, d’obtenir la nationalité maltaise, de voyager sans visa et d’obtenir le droit de rester dans l’ensemble de l’UE et, jusqu’à récemment, au Royaume-Uni.

Les personnes demandant un passeport devaient remplir plusieurs conditions, notamment louer ou acheter un bien immobilier d’une certaine valeur et pour une certaine durée, démontrer un lien avec le pays, payer des milliers d’euros de frais et faire don de centaines de milliers de dollars au gouvernement maltais. Ils devaient également passer par des processus de diligence raisonnable pour s’assurer de leur bonne réputation et de leur caractère.

Cependant, de nombreuses enquêtes ont révélé des problèmes flagrants dans le processus.

Il s’est avéré que de nombreux candidats avaient simplement loué un taudis ou un garage pour répondre aux exigences, sans pour autant vivre dans le pays. D’autres n’avaient aucun lien avec Malte et n’avaient pas l’intention de s’y installer, mais voulaient ouvertement s’en servir comme tremplin vers d’autres États de l’UE.

Parallèlement, le gouvernement n’a pas fait preuve de transparence concernant les bénéficiaires de la citoyenneté par le biais de ce système, dans le but de mettre les journalistes sur une fausse piste.

Toutefois, des années d’enquête ont permis de découvrir que la nationalité maltaise avait été accordée à des membres de la famille royale saoudienne, à des oligarques russes suspectés ou coupables de blanchiment d’argent et d’évasion fiscale, ainsi qu’à d’autres proches du régime de Vladimir Poutine, à des magnats turcs et à plusieurs autres personnes qui ont ensuite fait l’objet d’enquêtes pour divers délits financiers.

Daphne Caruana Galizia, assassinée en 2017, était l’une des journalistes qui ont dénoncé ce système. Son reportage lui a valu de nombreuses menaces et de poursuites judiciaires par le gouvernement et la société concessionnaire.

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La famille de la journaliste assassinée Daphne Caruana Galiza, ainsi que plusieurs parlementaires européens, ont demandé à l’UE de ne pas financer un projet de gazoduc entre Malte et la Sicile en partie lié à l’homme jugé pour son assassinat.

Le régime de l’île avait également attiré l’attention de Low Taek Jho, un fugitif international accusé d’avoir volé des milliards dans le plus grand scandale de corruption de l’histoire de la Malaisie, bien que sa demande ait finalement été refusée.

D’autres personnes ont demandé la nationalité maltaise alors qu’elle était illégale dans leur pays d’origine, et les rapports faisant état de pots-de-vin versés à des hommes politiques impliqués dans le lancement du projet étaient légion.

Ainsi, depuis 2013, Malte a collecté 1,1 milliard d’euros grâce à cette pratique controversée d’octroi de nationalité en échange d’investissements.

Auparavant, l’île de Chypre et la Bulgarie avaient des programmes similaires, mais ceux-ci ont été démantelés à la suite de scandales nationaux et de la pression de l’UE.

Nicosie a mis fin à son offre de « passeport doré » l’année dernière, tandis que la Bulgarie s’est retirée après des inquiétudes concernant de possibles irrégularités dans près de la moitié des passeports délivrés.

Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Malte a exclu les Russes et les Biélorusses de son système, l’Europe ayant pris des mesures sévères à l’encontre des oligarques russes et des personnes politiquement impliquées.

La Bulgarie va mettre fin à la pratique des « passeports dorés »

Le nouveau gouvernement bulgare, qui a promis d’éradiquer la corruption, a adopté mercredi (12 janvier) un projet de loi visant à supprimer les « passeports dorés », ces dispositifs permettant d’acquérir la citoyenneté en échange de gros investissements.

En mars, la Commission a publié une recommandation indiquant que les États membres de l’UE « qui appliquent encore des régimes de citoyenneté aux investisseurs doivent y mettre fin immédiatement ».

Elle a également demandé le retrait immédiat des « passeports dorés » ou des permis de séjour similaires liés à l’investissement accordés aux Russes et aux Biélorusses frappés par les sanctions européennes.

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