Scandinavie

En Suède, la guerre des gangs au cœur de la campagne électorale

A quelques semaines des législatives, la criminalité et les violences par armes à feu dominent la campagne. Chaque parti, y compris les sociaux-démocrates au pouvoir, participe à la surenchère pour endiguer le phénomène.
par Emilie Cochaud-Kaminski, Correspondance à Stockholm (Suède)
publié le 24 août 2022 à 8h00

La fusillade a eu lieu vers 17 heures, dans l’un des plus grands centres commerciaux de Suède. Vendredi, un homme a été tué et une passante blessée à Malmö, dans le sud du pays. L’homme décédé serait une figure importante d’un gang criminel de la ville. Un jeune homme arrêté par la police a reconnu avoir ouvert le feu. Il n’a que 15 ans.

Ce type d’événement n’étonne plus vraiment en Suède. Depuis le mois de janvier, la police a recensé une quarantaine de morts par balle et plus de 250 fusillades dans le royaume scandinave. L’année 2022 s’annonce particulièrement meurtrière. A quelques semaines des élections législatives, le 11 septembre, ces violences sont devenues le sujet numéro 1 de la campagne électorale. Et pour la première fois en quarante ans, la criminalité est en tête des préoccupations des électeurs suédois, selon une étude de l’université de Göteborg.

Il faut dire que les règlements de compte entre gangs font l’actualité toutes les semaines dans les médias nationaux. Depuis une dizaine d’années, la Suède enregistre l’un des taux d’homicides par armes à feu les plus élevés d’Europe. En 2018, le pays s’est même hissé sur la première marche du podium européen, selon une étude du Conseil suédois de prévention de la délinquance, avec quatre décès pour un million de personnes (la moyenne européenne est à 1,6).

«Tirer pour tuer»

«La plupart des victimes sont des hommes jeunes, qui sont impliqués dans des réseaux criminels et ont grandi dans des quartiers avec une population pauvre, issue de l’immigration», souligne le criminologue Manne Gerell. Ils ont le plus souvent entre 20 et 29 ans, et le trafic de drogue est le nerf de la guerre. Les conflits peuvent surgir entre bandes rivales, mais les groupes, peu structurés et hiérarchisés, se déchirent parfois dans leurs propres rangs.

Les jeunes se font enrôler de plus en plus tôt dans des activités criminelles, parfois dès 12 ans, note Camila Salazar Atías, qui travaille au sein de Fryshuset, une organisation qui fait de la prévention auprès des jeunes et accompagne ceux qui souhaitent sortir de la criminalité. Ces dernières années, elle a observé l’escalade de la violence au sein des gangs : «Auparavant, on se faisait tirer dans la jambe, en guise d’avertissement, maintenant il s’agit de tirer pour tuer.»

Comment en est-on arrivé là ? La réponse est complexe, mais la spécialiste évoque un effet de spirale. A un moment donné, «c’est devenu une façon de régler les choses, et une fois que l’on a atteint ce degré de violence, il est difficile de revenir en arrière.»

Inflation de propositions

Outre ces homicides par armes à feu, «la Suède n’a pas un taux de criminalité élevé de façon générale», souligne le criminologue Manne Gerell. A rebours de sa réputation de pays paisible et pacifique, ces violences «ne collent pas avec l’image que la population suédoise se fait d’elle-même».

Alors, à l’approche des élections de septembre, chaque parti y va de sa proposition. L’heure est à la surenchère pour endiguer le phénomène. Sur les affiches dans la rue, le chef de la droite, Ulf Kristersson, fait campagne avec le slogan «Mettons de l’ordre en Suède maintenant». Selon un sondage de l’institut Novus mené en juillet, le parti conservateur, qui met l’accent sur une plus grande sévérité des peines, est perçu comme le plus à même de combattre la criminalité.

Les Démocrates de Suède, le parti d’extrême droite et troisième force politique du pays, incriminent directement l’immigration, qu’ils estiment avoir été mal maîtrisée ces dernières années, et veulent «voir plus d’immigrés retourner dans leur pays d’origine». Globalement, les deux partis d’opposition accusent les sociaux-démocrates (centre gauche), au pouvoir depuis huit ans, de ne pas avoir su enrayer le phénomène.

Changement de ton

Mais le ton est devenu également plus ferme côté sociaux-démocrates. Dans son discours d’été, la Première ministre sortante, Magdalena Andersson, a montré les muscles en promettant «une offensive nationale contre les fusillades, les armes et les gangs». La priorité, estime-t-elle, est d’améliorer l’intégration et les conditions de vie dans les quartiers dits «vulnérables», à forte proportion immigrée. Elle propose aussi de durcir certaines peines et de donner plus de moyens à la police et à la justice.

Plus surprenant, dans une interview au quotidien Dagens Nyheter, son ministre chargé des questions d’Intégration et d’Immigration, Anders Ygeman, a émis l’idée de plafonner le pourcentage d’habitants «non nordiques» dans les zones classées vulnérables pour favoriser la mixité sociale. Une suggestion inspirée directement du Danemark, qui a été vertement critiquée par le Parlement et l’opinion, car elle divise la population selon des critères ethniques. Pour Marie Demker, politologue à l’université de Göteborg, cette déclaration relève plutôt d’une sortie de route et ne devrait pas se traduire par des propositions concrètes. Néanmoins, elle témoigne d’un changement de rhétorique, pour «aller chercher les électeurs qui ont un sentiment d’insécurité et sont attirés par l’extrême droite».

75 % d’affaires non résolues

Le bloc de droite et celui de gauche étant au coude-à-coude dans les sondages, la compétition fait rage entre les huit partis suédois. Beaucoup «ont avancé des propositions qui ne sont pas réalistes, estime Marie Demker. C’est à qui se montrera le plus dur sur ces questions. C’est problématique, car cela banalise un sujet politique très sérieux et complexe.»

Un sentiment partagé par Camila Salazar Atías : «Le débat se focalise beaucoup sur les sanctions. C’est une partie de la réponse, mais on n’arrêtera pas l’hémorragie avec un simple pansement. Il faut travailler sur les causes profondes, comprendre pourquoi ces gamins choisissent cette vie.» Résoudre plus d’affaires est un autre facteur. Aujourd’hui, seuls 25 % des homicides par armes à feu aboutissent à une condamnation, rappelle la criminologue. Avec 75 % d’affaires non résolues, «le risque de se faire attraper est très faible, ce qui conduit les gangs à prendre plus de risques, comme tirer en plein jour et dans des endroits fréquentés.» A l’image de ce qui s’est passé à Malmö la semaine dernière.

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