Le 28 octobre 1955, les scientifiques Grégory Pincus et John Rock présentaient devant un parterre scientifique le fruit de trente années de travail, un médicament capable de contrôler l'ovulation des femmes pour éviter la grossesse.

La science allait faire ce que la loi n'avait pas fait jusque là, c'est à dire mettre les femmes sur un pied d'égalité avec les hommes.



Une pilule contre l'opinion publique

Dans les années 50 la peur d'être enceinte était indissociable de la vie sexuelle d'une jeune femme écrit Jonathan Eig dans son livre "Libre comme un homme" (la grande histoire de la pilule).
Dans cette Amérique puritaine, l'interruption de grossesse était illégale et les avortements clandestins extrêmement risqués. Beaucoup de femmes se sentaient prises en otage par leur corps. Leurs perspectives professionnelles étaient quasi nulles avec des enfants à garder…

La féministe Margaret Sanger convaincue que la" libération de la femme ne se ferait pas sans avoir des relations sexuelles aussi souvent qu'elle le voudrait", se mit en quête d'une formule magique.

Mais son projet d'un moyen de contraception peu coûteux, pratique, infaillible et de préférence sous forme de comprimé effrayait les scientifiques consultés.
Ils ne voyaient pas l'intérêt, sous le poids de l'opinion publique, de l'ingérence religieuse et de la pression politique, d'élaborer un tel produit". Enfin s'ajoutait à la peur de salir leur réputation, leur scepticisme  à commercialiser une pilule qu'aucun médecin n'oserait prescrire !


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Quatre pionniers contre tous

Gregory Pincus Margaret Sanger John Rock McCormick
 Margaret Sanger, Gregory Pincus, Katharine McCormick et John Rock 

Margaret Sanger qui avait déjà fondé la Ligue pour le Contrôle des Naissances (dont l'équivalent est le Planning familial en France), réussit à convaincre un chercheur, Grégory Pincus.
Pour cet homme de science "dont le QI était aussi élevé que la réputation douteuse", seul le défi intellectuel prédomine. Ce biologiste éminent "et peut-être l'un des plus grands experts au monde en reproduction des mammifères" n'a pas eu peur d'affronter les sacro-saintes institutions de l'Amérique des années 50.

Et c'est sous la forme de recherches sur la fécondation in vitro que Gregory Pincus va se lancer dans l'aventure, rejoint par un autre scientifique John Rock. Ce médecin catholique, à la fois charismatique et rassurant, offrait une forme de caution à ce projet politiquement incorrect.



La religion est un piètre scientifique

avait-il l'habitude de dire à son entourage.

Elle résume assez bien le conflit intérieur que vivait ce croyant en défiant sa propre église dans ses travaux scientifiques. Tandis que l'église se positionnait contre l'avortement, la santé d'une femme prévalait pour John Rock sur celle de son foetus, et les grossesses engageant le pronostic vital des patientes devait être interrompues. Des années d'expériences auprès de patientes épuisées par les grossesses à répétition, forgèrent chez lui la conviction que le bien-être des femmes était plus important que la position du clergé…

Une autre personne allait jouer un rôle considérable dans l'élaboration de la pilule, en finançant largement cette sorte "d'ascension de l'Everest".
Katharine McCormick, veuve milliardaire décida de consacrer son énergie et son argent à la cause des femmes.
Vice-présidente de la National American Woman Suffrage Association pour le droit de vote des femmes, rencontre Margaret Sanger lors de la première American Birth Control Conference.

L'association ne faisait que commencer pour ces deux femmes de pouvoir farouchement indépendantes et fascinantes.



L'égalité des sexes passe par l'égalité sexuelle

L'histoire de la pilule est particulièrement intéressante parce qu'elle incarne une révolution pour Jonathan Eig "où il ne serait plus question de pistolets, de bombes, mais seulement de sexe, car la pilule va réinventer le sexe pour les femmes, plus sûr et sans limites"

Dans les années 50 conservatrices, un vent d'émancipation commence flotter dans les foyers américains. Si faire et élever des enfants était un acte patriotique au sortir de la guerre, des sondages menés par le Rapport Kinsey (1947)* donneront des résultats qui permettront "de minimiser le sentiment de honte que la sexualité inspire aux américains".
Le rapport révèle "que le sexe et le mariage faisaient bon ménage, la masturbation n'avait rien de nocif, l'homosexualité était plus répandue qu'on ne le pensait et hommes comme femmes, trompaient plus souvent leur conjoint qu'on ne le croyait".

La pilule va ainsi comme le voulait Margaret Sanger "rendre les rapports sexuels plus spontanés, éviter aux femmes de toujours devoir anticiper ou sacrifier leur plaisir".



La pilule n'arrivera en France qu'en 1967. Elle est enfin légalisée après des années de lutte, sous la houlette du député gaulliste Lucien Neuwirth.



"Libre comme un homme" (la grande histoire de la pilule) de Jonathan Eig, en librairie le 18 janvier

* Rapport (1947) du nom de son protagoniste Kinsey, qui entreprit  de catégoriser l'éventail de pratiques sexuelles déployées en Amérique.