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Un promoteur israélien suscite l’indignation en diffusant des projets de constructions à Gaza

La guerre entre le Hamas et Israëldossier
Des images de projets de constructions israéliens dans la bande de Gaza en ruine, publiées par le promoteur immobilier Harey Zahav, ont suscité de vives réactions. Si elles relèvent à ce stade de la provocation, elles soulignent la volonté d’une partie des Israéliens de rétablir des colonies dans l’enclave.
par Jacques Pezet
publié le 17 décembre 2023 à 19h14

Alors que l’armée israélienne poursuit son offensive terrestre dans la bande de Gaza, de nombreux internautes ont dénoncé la publication d’images montrant des projets de constructions israéliennes sur le territoire palestinien désormais en ruine.

Deux images ont particulièrement été partagées. La première, publiée le 13 décembre, montre des croquis d’habitations alignées et superposées sur les ruines de Gaza. Elle est recouverte du message écrit en hébreu «Une maison à la plage n’est pas un rêve». Plus bas, on lit : «Nous, l’entreprise Montagnes dorées sommes en train de travailler pour préparer le terrain pour un retour à Gush Katif. Un certain nombre de nos employés ont commencé à travailler sur la remise en état, le déblaiement des débris et l’expulsion des squatteurs. Nous espérons que dans un proche avenir, toutes les personnes enlevées seront ramenées chez elles en toute sécurité, que nos soldats rentreront chez eux et que nous pourrons commencer la construction dans toute la région du Gush Katif.»

Le Gush Katif désigne un bloc de colonies israéliennes installées dans la bande de Gaza au début des années 70, mais dont les habitants ont dû se retirer en 2005 lors du plan de désengagement de la bande de Gaza.

Nouveaux bâtiments, bunkers et hôpitaux

Sur cette illustration apparaissent également les noms de futures colonies : Maale Atzmona, Oren, Neve Katif. On retrouve ces noms, ainsi que d’autres sur une seconde publication, datant du 11 décembre, montrant une carte en hébreu de ces implantations sur la bande de Gaza. Leurs noms renvoient à ceux des colonies préexistantes dans la bande de Gaza. Un zoom sur le quartier de Neve Katif imagine la présence de nouveaux bâtiments, de bunkers ou encore d’un hôpital.

Ces images sont réelles. Elles ont été publiées sur le compte Instagram de Harey Zahav (littéralement «les montagnes dorées»), un promoteur immobilier israélien, jusqu’ici spécialisé dans la construction d’habitations dans les colonies construites en Cisjordanie. L’implantation de colons israéliens dans ces territoires où vivent les Palestiniens, fait régulièrement l’objet de condamnations de la part de la communauté internationale.

Sur son site, cette entreprise immobilière créée en 2007, revendique être «l’une des principales sociétés du marché immobilier» dans ces territoires et assure être implantée dans «environ 25 projets résidentiels» soit «plus de 1 000 unités livrées aux clients et environ 1 000 en cours de construction».

Depuis le 7 octobre, Harey Zahav a publié de nombreuses photographies et vidéos sur son compte Instagram qui mettent en avant l’engagement militaire de ses employés réservistes. Parmi ces soldats, on retrouve ainsi le patron ou le vice-président de l’ingénierie, qui se filment depuis Gaza, parfois au volant d’une pelleteuse, promettant à leurs abonnés la construction de futures habitations. Une autre publication du 8 décembre (supprimée ce dimanche) montre un groupe de soldats tenir une banderole au nom de la société annonçant qu’«ici la nouvelle colonie Maale Atzmona sera construite».

Quelle importance faut-il accorder à ces publications ? La question du devenir de Gaza demeure en suspens mais une réinstallation israélienne n’est pas officiellement envisagée. Le gouvernement israélien répète que son objectif est de détruire le Hamas, et non pas d’expulser les Palestiniens. La destruction massive de Gaza limite le retour des Palestiniens dans leurs habitations en ruine. La présence militaire israélienne se prolonge à Gaza, jusqu’à la désignation d’une autorité palestinienne qui garantisse la sécurité de l’Etat hébreu. Fin octobre, une note du ministère des Renseignements israélien, évoquant un déplacement forcé des civils de Gaza vers l’Egypte, avait été révélée par le site d’information israélo-palestinien Mekomit, avec le soutien de Wikileaks. Sa portée avait cependant été minimisée par le cabinet du Premier ministre, Benjamin Nétanyahou, en le qualifiant d’exercice hypothétique.

«Un coup médiatique»

Les projets affichés par le promoteur Harey Zahav relèvent donc, à ce stade, de la provocation, tout en traduisant les aspirations d’une partie des Israéliens à récupérer Gaza. Contacté par CheckNews, le promoteur concède que l’initiative n’a rien d’une « campagne commerciale », et qu’il s’agit d’une « parodie » : « c’est au gouvernement israélien qu’il appartient de décider de revenir ou pas à Gaza. Tant que cette décision ne sera pas prise, il n’y aura aucun projet ». Toutefois, le responsable contacté défend une action de « sensibilisation » pour « ouvrir une discussion.» Et d’affirmer qu’après l’attaque du 7 octobre, la reprise du contrôle de Gaza, l’installation des Israéliens et le départ de la population palestinienne dans des pays arabes voisins « est la seule solution pour une paix durable.»

Sur le réseau social X (anciennement Twitter), le juriste israélien Itay Epshtain, ancien directeur de l’antenne israélienne d’Amnesty International et ancien codirecteur du Comité israélien contre la démolition de maisons (Icadh), une organisation humanitaire qui critiquent le développement de colonies israéliennes, évoque «un coup médiatique». Mais il ajoute que cette provocation «traduit un sentiment profond en faveur de l’acquisition de territoires et de la colonisation aux dépens des Palestiniens». Le consultant en droit humanitaire souligne que, le 11 décembre, une conférence ayant pour objet la «préparation pratique à l’installation à Gaza» s’est tenue à Givat Washington.

Selon le site d’information Davar Hayom, cette réunion organisée par 15 organisations a réuni environ 150 participants qui considèrent la guerre en cours comme une opportunité historique pour que des Israéliens retournent s’installer dans la bande de Gaza. «Nombre d’entre eux proviennent des personnes évacuées du Gush Katif et de leurs familles», rapporte le journaliste David Tversky, qui a assisté à la rencontre. Selon lui, ces militants espèrent mobiliser un large soutien au sein de l’opinion publique israélienne et exercer des pressions sur les responsables politiques. Le reporter souligne toutefois qu’officiellement le gouvernement de Benyamin Nétanyahou et l’opinion publique internationale sont opposés à cette réinstallation dans les territoires gazaouis.

Depuis l’attaque du 7 octobre perpétrée par le Hamas, et la réponse militaire d’Israël contre la bande de Gaza, plusieurs journaux israéliens ont fait écho aux revendications des activistes d’un retour des Israéliens à Gaza. Mi-novembre, un sondage conduit par la chaîne Channel 12 a été relayé par plusieurs médias israéliens anglophones comme le Time of Israel ou le Jewish Currents affirmant que 44 % des Israéliens étaient en faveur d’une implantation à Gaza et 39 % contre. Outre ce sondage, le Time of Israel observait dans un article paru début décembre qu’il y a «d’autres éléments indiquant que l’idée de rétablir les communautés juives à Gaza bénéficie d’un large soutien, en particulier parmi les jeunes Israéliens».

Le journal cite comme autres preuves plusieurs publications sur les réseaux sociaux de jeunes soldats israéliens à Gaza tenant des affiches appelant à un retour des Israéliens. Ou encore une vidéo d’un chanteur israélien, motivant des troupes en chantant «Nous rentrerons à Gush Katif, nous établirons la plage Nova sur la baie de Gaza». Une référence au festival Nova, au cours duquel des centaines de jeunes israéliens ont été tués par les terroristes du Hamas.

Une nouvelle consultation menée auprès de 1 800 personnes par l’Université Hébraïque, et dont les résultats ont été présentés ce dimanche, assure au contraire, que 56 % des Israéliens sont opposés à une telle politique d’installation à Gaza, contre seulement 33 % qui y sont favorables et 11 % qui sont incertains.

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