If only Iâd thought of the right words
I could have held on to your heart
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Je me souviens de ça :
Au dĂ©but des annĂ©es 90, ma sĆur aĂźnĂ©e Ă©tait une « curiste » pure et dure, jâessayais de suivre tant bien que mal.
Des fois, on se promenait dans la rue et des types baissaient la vitre de leur voiture Ă coups de manivelle (pas de bouton Ă©lectrique Ă lâĂ©poque, tu nâouvrais ta fenĂȘtre que si tu avais une bonne raison de le faire) afin dâhurler, la gueule enfarinĂ©e, « HĂ© tu tâes coiffĂ©e avec un pĂ©tard ?! », en rĂ©fĂ©rence Ă la coupe de cheveux quâelle empruntait Ă Robert Smith, leader de The Cure que nous idolĂątrions.
Ah oui, « curiste » ça voulait dire fan de The Cure.
Une annĂ©e, The Cure a fait un concert au ZĂ©nith Ă Paris, et Ă©videmment quâon y allait. La voisine de la ruelle un peu plus loin, jâai oubliĂ© son prĂ©nom, jâen Ă©tais pourtant Ă©namourĂ© - il mâarrivait mĂȘme de la regarder partir prendre son bus, tĂŽt le matin, Ă travers le buisson, ce qui devait ĂȘtre moyennement discret. Je me souviens du prĂ©nom de son frĂšre par contre mĂȘme sâil Ă©tait assez insupportable. Mehdi. Pourquoi est-ce-que je me souviens du prĂ©nom du frĂšre et pas de la soeur dont jâĂ©tais Ă©namourĂ© ça, je ne me lâexplique pas.
Bref, je nâavais aucune chance, elle avait presque 18 ans, jâen avais probablement 14. ZĂ©-ro chance. En plus elle sortait avec ce type un peu plus vieux, qui CONDUISAIT UNE VOITURE. Une petite Fiat 126.
HĂ© bien, la voisine et son copain, croyez-le ou non mais ils Ă©taient curistes eux aussi et ils y allaient, au ZĂ©nith. Du coup, ils se sont dit quâils allaient emmener ma sĆur jusque lĂ -bas en voiture (et moi aussi, pas trop le choix) mais que ça se ferait pas dâun coup de baguette magique, alors ils ont montĂ© une vĂ©ritable opĂ©ration sĂ©duction : vĂȘtus de leurs plus beaux atours, ils sont venus boire thĂ© + petits LU avec mes parents, histoire de faire bonne impression. Perso, jâen revenais pas de voir cette fille dont je ne me souviens toujours pas du prĂ©nom, assise sur le canapĂ© de mon salon.
Mes parents les ont laissĂ© faire leur laĂŻus jusquâau bout puis ils ont refusĂ©. Je crois quâils se sont bien marrĂ©s. Bref, ce sont eux qui nous ont dĂ©posĂ©s au ZĂ©nith, on habitait loin, au fond du 77.
Quand on est arrivĂ©, on a rejoint une autre amie curiste de ma sĆur dont je ne me souviens pas non plus du prĂ©nom. Elle a dĂ©crĂ©tĂ© quâon devait courir se planter au premier rang. Et on lâa fait. Mais on nâĂ©tait pas les seuls. Si bien quâune foule compacte est venue sâagglutiner dans notre dos.
Jâai rarement Ă©tĂ© aussi comprimĂ© de ma vie, mĂȘme aux pires heures de la ligne 13. Et encore, le concert nâavait mĂȘme pas commencĂ©.
Tandis que jâagonisais, jâai pu voir au loin, ma sĆur qui se faisait extirper de la foule par des agents de sĂ©curitĂ©, puis sa copine, qui se fit salement tripoter au passage.
Les agents, je leur faisais signe, eux faisaient mine de ne pas me voir. Clairement, je ne les intéressais pas.
Des gens du public, des adultes, des adultes responsables, se sont inquiĂ©tĂ©s de moi, ils ont interpelĂ© les agents, les ont forcĂ©s Ă me sortir de lĂ . Un vrai sauvetage. Dans un soupir dâagacement, un colosse me tira de lĂ dâune seule main, comme un sac de patates quâon balance dans une remorque.
* * * * *
Toute honte bue, nous assistĂąmes au concert dâun peu plus loin que prĂ©vu et Robert Smith, un peu plus petit que prĂ©vu, accompagna comme personne nos dĂ©ceptions adolescentes.