Annie Ernaux : l'insoumise
A 82 ans, l'écrivaine française vient de recevoir le prix Nobel de littérature. Connue pour ses livres inspirés de sa vie personnelle, cette féministe engagée aux origines modestes fait fi des tabous et écrit pour porter les choses «jusqu'à leur terme»...
Par Laura Berny
Avec ce prix Nobel et l'agitation médiatique qui s'ensuit, l'écrivaine de 82 ans aura certainement de quoi noircir son journal intime, celui qu'elle tient depuis qu'elle a seize ans et qui ne sera publié qu'après sa mort, selon son voeu. Les révélations sur sa vie privée, ses opinions sur untel, ses critiques et ses engouements attendront donc. Mais Annie Ernaux en a déjà beaucoup dit sur elle-même, n'ayant cessé de gratter depuis quarante ans là où cela lui faisait mal pour ne pas seulement « vivre les choses » mais les porter comme elle dit « jusqu'à leur terme »…
Ses livres découlent de cette nécessité de dire. Aller au bout, fouiller sa mémoire jusqu'aux tréfonds pour en ramener toute la substance. Revivre même à l'occasion sa jeunesse, « en palimpseste », comme elle l'a fait avec un étudiant qui aurait pu être son fils, histoire qu'elle a disséquée dans «Un jeune homme», son dernier livre. L'écriture et l'amour, ses deux passions.
Dans ses textes « écrits au couteau », « l'autosociobiographe » cherche sa vérité, pas pour choquer, elle se fiche des convenances, mais pour la transmettre avec les mots les plus justes à ses lecteurs et brosser, au-delà des drames intimes, le tableau d'une société, celle d'aujourd'hui et celle d'hier. Dans sa vie, cette femme de gauche, désireuse de « venger sa race » (sociale s'entend), s'engage à fond, auprès des « gilets jaunes », du peuple palestinien et de Jean-Luc Mélenchon.
Annie Ernaux aime se présenter comme un « transfuge de classe », elle qui s'est arrachée au café épicerie de son enfance, à Yvetot en Normandie, pour devenir professeure et femme de lettres. Un transfuge de genre aussi en s'affranchissant un à un des tabous liés à son sexe : la domination masculine, l'avortement, le mariage bourgeois, l'effacement de la femme mûre… Insoumise toujours.
Laura Berny